Je ne te dois rien !
Hummmmmm, Je ne te dois rien.
Parfois, dans notre parcours de vie, une phrase, quelques mots assemblés avec pertinence, nous impactent tellement qu’ils nous interrogent sur la légitimité de nos convictions les plus profondes, ébranlent parfois nos certitudes, et, ces remises en cause nous font effectuer un bond dans nos vies, nous obligeant même, parfois à changer les lunettes par lesquelles nous l’abordions !
– Je ne te dois rien, et tu ne me dois rien !
Dieu, que ce fut dur à entendre ! Jusque-là, il lui aurait été impossible de s’approprier ces mots ! Que l’autre, en face, ne lui doive rien, soit ! Elle pouvait l’accepter ! Certaines circonstances de sa vie l’avaient même amenée à penser que ce serait, pour elle, la norme ! Le prisme définitif par lequel passerait sa relation à l’autre. Parent, ami ou allié, il lui faudrait, à chaque fois, monnayer l’amour, l’affection, l’attention, puisque personne ne lui devait rien. Elle devait donc mériter le moindre frémissement en sa faveur. En revanche, la seconde partie de cette phrase, elle ne s’en était jamais accaparée.
On ne lui devait rien, évidemment.
Mais, elle, devait tout à l’autre et parfois même, se devait toute aux autres. C’était comme ça ; C’était normal ; Rien de scandaleux dans ces faits établis. Disciplinée, elle le fut. Attentionnée envers celui-ci, subissant la dictature de tel autre, cachant parfois son humiliation sous une couche d’humilité tellement épaisse qu’elle en devint suspecte aux yeux de certains. Ceux-là soulevaient alors ce manteau d’humilité pour mieux mettre à jour sa confusion et s’en gausser.
Il lui était encore difficile, aujourd’hui, de démêler l’inné de l’acquis. Sa gentillesse envers tous était-elle naturelle ? Ou dictée par ce besoin d’amour ? Cette pressante nécessité d’offrir en émoluments son sourire et sa serviabilité ?
Toujours est-il que le jour où elle fut prête à entendre cette phrase, à en comprendre les implications tacites, et à en assumer la responsabilité, sa vie changea. Du tout au tout. Pour le meilleur ? L’avenir en fera le témoignage.
Ce jour-là, face à ce membre de sa famille, celui-là même pour lequel elle s’était toujours portée dauphine afin de lui offrir la couronne du gagnant dans tous leurs débats, elle sentit son corps, son cœur d’abord se révolter, puis, ce fut comme une expansion de sa conscience. Elle entendit, pour la première fois, la 2è partie de la phrase : Je ne te dois rien !
Les ponctuations se succédèrent dans sa tête. Les points de suspension, suivis par le point définitif, taclé par la ponctuation affirmative, sûre de son droit.
Je ne te dois rien….
Je ne te dois rien.
Je ne te dois rien !
D’abord, avec amertume évidemment, elle repensa à toutes ces fois où, en retrait, volontairement postée dans l’ombre, elle avait offert à l’autre la lumière, la satisfaction de voir ses désidératas priorisés. Puis, parce que ces quelques mots l’obligeaient à assumer la responsabilité, elle s’en saisit et décida d’en explorer toutes les facettes, y découvrant ainsi l’opportunité de s’émanciper.
Elle pourrait, désormais, interdire à quiconque de lui refuser voix au chapitre. Sa voix pourrait éclore en toute légitimité dans chaque once de sujet la touchant.
Elle ne lui devait rien.
Elle pourrait, audace suprême, s’aimer en priorité. Exiger d’être écoutée. Et peu importait si le châtiment se traduisait par un bannissement.
Elle ne lui devait rien.
Soudain apparurent à ses yeux ses nombreuses doléances, muées parfois en supplications la maintenant dans ce déséquilibre à l’autre afin de lui éviter de tomber de l’équilibre fragile de sa vie. L’autre ou les autres en face, n’en n’avaient cure. Ils avaient juste entraperçu, dans la dépréciation de son être, la fêlure par laquelle s’engouffra leur égo, et leur droit de préemption sur sa parole.
Elle eut un dernier frisson. Oisillon à la quarantaine passée qui se résolvait à déployer ses ailes. Face à l’autre, oppresseur légitimé par son statut de patron, de collègue, de compagnon, de frère, de père. : 483432 heures après son premier cri, c’était l’heure de la mise à jour !
Ils ne lui devaient rien. Ça y est, elle l’avait compris et en avait accepté les conséquences. Elle ne leur devait rien. A eux d’en assumer la responsabilité.