Ralentir et vivre
Hummmmm, se souvenir qu’on est mortel…
Beaucoup d’entre nous, dans cette période un peu étrange que nous vivons où un minus, un virus transformé en géant, terrorisant les uns, et ôtant la vie à d’autres, ont subitement réalisé ceci : Nous n’étions pas sur terre pour tous vivre jusqu’à 107 ans !
Nous l’oublions, au quotidien, ou feignons de l’ignorer, et c’est tant mieux, car sinon, la vie serait tout simplement invivable ! Imaginez si, chaque fois qu’on devait sortir acheter des tomates ou déposer nos enfants à l’école, on était freiné par la possibilité d’avoir un accident de voiture ou de faire une crise cardiaque !? On n’oserait plus bouger. Immobilisés par la peur de disparaître. Or, la vie étant mouvement, ne rien oser reviendrait d’une certaine manière à mourir à petits feux ! Oublier notre état de mortels a donc ses vertus et est souhaitable au quotidien.
En revanche, lorsque certains évènements viennent nous rappeler que nous n’avons aucun pouvoir sur le choix quant à l’heure de sortie définitive de notre vie, ce que cette idée bouscule en nous et met en exergue, c’est que, à part cet évènement généralement indépendant de notre volonté, le choix, nous l’avons pour tout le reste. J’aime beaucoup ce dessin de Charly Brown et snoopy dans lequel Charlie Brown dit ceci : « Un jour, nous allons tous mourir, snoopy », et celui-ci, paisiblement lui répond : « Oui, mais tous les autres jours, nous allons vivre ». (BD de Charles Monroe Schulz)
Je ne sais pas vous, mais moi, personnellement, chaque décès de proche autour de moi, me donne une envie de vivre plus intensément. Et, le défilement des années se faisant de plus en plus rapide, (Du moins, c’est le sentiment que j’en ai), je réalise mon état définitif de mortelle. Nous vivons généralement en considérant la mort comme étant un drame. Alors qu’elle fait partie de la vie. Dès l’instant de notre naissance, nous sommes comme ce fruit qui se forme dans l’arbre et qui a lui aussi sa date de péremption. La mort fait partie de la vie et est cependant considérée comme une injustice, parfois foncièrement inacceptable. En réalité, l’homme continue à vivre comme s’il était séparé de la nature. Tout dans cette nature nait, vit, meurt. On l’accepte. Et ceux qui vivent dans des régions où le cycle des saisons est un marqueur permanent de temporalité, devraient le constater. Ils le font dans l’absolu, mais tiennent ces évènements comme distincts de leur état d’homme, donc différent de la nature, et parfois même supérieur. On accepte que certains fruits, sur l’arbre, tombent à peine formés, mais on refuse de transposer ces faits au genre humain. Nous devrions être seuls à être plus que la nature. Oubliant que celle-ci, résiliente, était là avant nous, et restera bien après.
Pour ma part, les effets de ces derniers mois chaotiques sur moi furent multiples. Une fois relevée du choc dû à la perte d’amis proches, je me suis interrogée sur mes priorités. La super active que je suis a levé le pied sur nombre de projets. Quant aux conflits, familiaux ou professionnels, je dirais, pour illustrer mon propos, que s’ils étaient cotés à la bourse, leur valeur aurait dégringolé de 99%.
Il suffit de se poser deux minutes pour réaliser que certaines batailles ne doivent leur longévité que par le fait qu’elles servent de nourriture indispensable à certains égos. Et personnellement, je n’ai plus envie de servir de bifteck à qui que ce soit. En tout cas, pas quand j’ai la possibilité de sortir de l’assiette ! Il n’est pas toujours aisé de s’écarter de ces rixes ; mais il est en revanche indispensable d’en revoir les enjeux. Certaines disputes qui durent depuis des années, avaient leur raison d’être il y a 10 ans. Mais 10 ans après, qu’en est-il ? Le butin espéré mérite-il vraiment une telle dépense d’énergie ? Rebattre les cartes et actualiser ses besoins peut nous offrir de belles occasions de lâcher prise.
La deuxième leçon, je pourrais la résumer en un mot : Patience. Cette vertu à la sonorité désuète est pourtant mère des autres dit-on. A vivre avec fureur, on en oublie de vivre. L’une des injonctions de nos sociétés est l’obligation d’être actif. On admire ceux qui pratiquent cette religion avec ardeur et on soupçonne les autres de cet horrible défaut : La paresse. Là aussi, j’ai envie de sortir de la fourmilière. De prendre un peu de hauteur, avant d’y retrouver une place qui me conviendrait mieux.
Nul scoop dans ce billet. Juste un rappel. Un appel à ralentir, sentir, humer, avant de décider. Les plus beaux combats sont ceux dans lesquels on s’est lancé avec une grande préparation, et non ces joutes dans lesquels on est propulsé avec ardeur, y laissant toute notre énergie, pour se rendre compte, au final, qu’elles n’en valaient pas la peine. Un billet dédié à mes absent.e.s, et un appel à un peu plus de douceur…