Du haut de mon mètre 59….
Hummmm…Je suis perplexe : 1m59 Versus 1m90
– Pourquoi es-tu si petite ? Ça doit être désagréable, non, de ne jamais rien voir ?!
(Je fais 1m60)
Nous étions en voyage à New-York, nous baladant sur la mythique 5ème avenue, à lécher du regard des vitrines de magasins dont les gérants avaient eu la délicatesse de masquer les prix, probablement pour prolonger nos rêves de pouvoir un jour, y acquérir une épingle à cheveux ! Nous devisions tranquillement, comparant les modèles de sacs de luxes et nous faisant croire que, si nous n’entrions pas de suite, c’est parce qu’il manquait à ceux-ci – une ou 2 qualités indispensables à notre bien-être.
Au bout de la rue, un attroupement. Une musique rythmée parvenait à nos oreilles, contrastant avec l’ambiance luxe calme et volupté dans laquelle nous déambulions, pour nous plonger, sans transition, dans un univers saccadé et enfiévré. Alors que je m’interrogeais encore sur la raison d’un tel tohu-bohu, mon amie, souriant frappait déjà des mains, dansait avec ferveur et semblait fascinée par un spectacle. Il y avait foule autour et moi, louvoyant, jouant des épaules afin de me frayer un chemin, j’en étais encore à me demander ce qui se passait !
Se rappelant subitement qu’elle n’était pas seule, mon amie, du haut de son mètre 90 (peut-être plus, peut-être moins, elle n’avait jamais voulu me donner cette précision), baissa la tête et se mit à me recherche. Elle finit par me voir, agitant la main dans sa direction, et c’est à ce moment qu’elle cria cette question incongrue :
– Pourquoi es-tu si petite ? Ça doit être désagréable, non, de ne jamais rien voir ?!
Sans attendre la réponse, elle retourna à son spectacle. Il me fallut encore quelques secondes pour arriver à sa hauteur !
Sur le coup, je restai interdite ! Ne m’étant jamais posée la question, je n’avais aucune réponse élaborée à lui fournir.
Elle me jeta un dernier regard désolé et retourna à sa transe.
C’est alors que je remarquai 2 enfants. Ils devaient avoir 2 ou 3 ans. Chacun avait une main fermement retenue par un parent. Séparés d’environ 1m, ils pouvaient se frôler alors que, de toute évidence, ils n’avaient qu’une envie : se tenir, s’enlacer ! Ils s’envoyaient des bisous accompagnés d’une succession de mots en Anglais que je ne comprenais pas ! (J’arrivais à peine à déchiffrer le langage des adultes en anglais, mais je n’avais pas encore la maîtrise de l’anglais pour bébé ! Je pouvais néanmoins déceler que ces quelques cm qui les maintenaient éloignés l’un de l’autre était pour eux source de rires et de jeux. En fonction des mouvements de foules, ils s’attrapaient la main, s’enlaçaient brièvement, ou simulaient 1000 mimiques d’adieu !
Fascinée par leur manège, riant comme eux, aux éclats je n’entendis pas de suite mon amie qui m’appelait !
– Corine ! Avance, il faut que tu sois devant, pour voir quelque chose ! Tu loupes tout le spectacle !
Je lui fis signe de m’oublier. Du spectacle, j’en avais à foison avec un 3ème chérubin qui avait rejoint mon duo. Ensembles, ils inventaient un langage parfaitement élaboré qui, ma foi, les réjouissait au plus haut point ! Nous étions plusieurs « petits », maintenant, à profiter du spectacle avec bonheur.
Lorsque ma grande perche d’amie sonna la fin des festivités, nous reprîmes la route et, une fois encore, elle ne put s’empêcher d’être désolée pour moi qui n’avais pu assister au spectacle parce qu’il me manquait quelques cm.
– Détrompe-toi ! J’ai assisté au spectacle ! J’étais aux premières loges, et il était réjouissant ! Elle m’observa, les yeux écarquillés, et je lui racontai les manigances des 3 petits chérubins. Elle haussa les épaules, persuadée que j’avais loupé l’essentiel, et la conversation prit fin.
Cette scène m’est revenue aujourd’hui, parce que j’ai vécu un évènement s’y rapprochant. Ma taille n’était pas en cause et nul gamin facétieux à l’horizon, mais la logique était la même. Au même endroit, mais dans des dispositions différentes, un collègue et moi avons eu des interprétations quasi opposées. Hier, c’était mon voisin qui se plaignait d’un spectacle peu réjouissant à sa fenêtre, alors que, vu du mien, nul objet n’offensait mon regard.
Trop souvent, nous voulons imposer aux autres notre vision du monde alors que celle-ci ne découle que de notre interprétation de celui-ci. La prochaine fois que vous voudrez expliquer à l’autre, en face, qu’il a tort et vous raison, arrêtez-vous, inspirez, expirez, et écoutez-le. Il n’en faut parfois pas plus pour comprendre, enfin, qu’il y a autant de versions d’une même histoire que d’individus.