De vous à moi….
Hummmmm, De vous à moi…
Ce matin, à l’instant précis où je sortais de ma voiture pour me diriger vers la mer et prendre mon bain quotidien, une voix me héla :
– Vous êtes en retard, aujourd’hui, Madame !
Surprise, je me retournai et croisai le regard d’une baigneuse de l’aube, comme moi ! Je lui répliquai machinalement « En effet », lui offris un sourire puis plongeai dans mes pensées. La première, suite à cette interpellation fut celle-ci :
– Non mais elle est sérieuse, là ? Elle me surveille ou quoi ?
Car sa remarque m’avait, dans un premier temps, mise mal à l’aise. Un sentiment d’être surveillée, épiée. Mais une sensation qui ne dura guère. Aussitôt ma routine sportive entamée, je compris ce qui venait de se passer. J’échangeai, comme d’habitude, des sourires, des mots brefs avec les uns et les autres. Un petit rictus, pour cette femme assez âgée dont le langage corporel, clairement, rejetait toute civilité. Un sourire immense, pour ce couple dont les mains toujours enlacées et le pas cadencé, suggérait une immense complicité , un « check » au pas de course pour ce jogger goguenard, toujours heureux , 2 petits mots échangés à la hâte avec cette jeune femme et son compagnon, un immense hug, pour ma copine yogiste, Tamara, rencontrée sur cette plage et adoratrice du Dieu soleil comme moi, et dont nous aimons saluer le réveil, côte à côte, en silence, et une salutation pleine de respect, d’admiration et de gratitude pour ce vieil indien de 91 ans , présent tous les matins : grâce et souplesse du corps, douceur du regard qui cependant laisse filtrer la force intérieure , cet homme est, pour moi, un cadeau du ciel . Les rares fois où sa frêle silhouette manque à mon tableau personnel, je scrute la plage, alors même que je sais sa routine immuable : Il n’y a quasiment aucune chance qu’il ait, brusquement, décidé d’immigrer sur une autre aile de la plage.
Et c’est en l’apercevant, lui, ma « Force tranquille », que je réalisai combien j’avais été injuste envers la dame qui m’avait abordée. Je ne l’avais pas réalisé, mais je faisais exactement comme elle. Chaque matin, pendant mon temps de marche et de nage, je faisais littéralement l’appel de mes compagnons de l’aube. Instinctivement, je notais, dans ma tête, les présents, et m’interrogeais sur l’inhabituelle absence d’un tel ou la disparition d’une autre. Je me réjouissais du retour de mon « Couple de marathoniens », et même l’acariâtre, bougonne, et mal polie, du bout de la plage manquait à mon décor les rares fois qu’elle allait trainer son mal être ailleurs !
Oui, je réalisai, aussitôt que mon corps entier frémit de bonheur en apercevant mon vieux contorsionniste que, même si je ne le formulais pas, comme l’avait fait cette dame avec moi, je me questionnais aussi, sur l’absence de tel ou telle. Nous étions une faune très matinale, connectés les uns aux autres, et, je le réalisais interdépendants. L’effet Papillon, nul besoin d’un pont entre l’Amazonie et nous pour le vérifier. Alors même que nous ne nous connaissions que de vue et ne nous fréquentions pas autrement que pendant 1 heure ou deux sur cette plage, nous influions les uns sur les autres. Un changement d’humeur ou d’attitude chez cet homme qui me saluait toujours d’un signe de la tête, et je me retrouvais à me demander pourquoi il avait choisi, ce jour-là, de m’ignorer. Comme une impression d’avoir manqué à notre contrat tacite, et cela me rendait, pour un instant, plus vulnérable !
Et puis, me disais-je, j’avais été vraiment culotée, d’en vouloir à cette dame ! car la romancière que je suis, à l’imagination débridée, avait été bien plus loin dans l’intimité de mes comparses du matin. A chacun, j’avais subodoré une vie. Jour après jour, je tirais de mon observation d’eux et de leurs attitudes, un destin. Ce couple-là, dont les doigts entrelacés semblaient comme soudés et dont les visages semblaient regarder toujours, à l’unisson, le même horizon, étaient-t-ils réellement amoureux ? Ne jouaient-ils pas, exclusivement pour nous, la comédie du bonheur pour, une fois, la porte de leur logis franchie, changer de scénario ? Cette femme admirable, soutient indéfectible de son mari handicapé, ne pouvait, elle, feindre son dévouement. Son amour pour lui les enveloppait tous les deux dans une sphère lumineuse qui m’apparaissait très clairement. J’imaginais alors, l’homme merveilleux qu’il avait dû être pour susciter, aujourd’hui, tant d’amour en retour.
A chacun, chaque jour, j’inventais une histoire. J’interrogeais les expressions et les interprétais selon mon imagination. J’étais, clairement, bien plus intrusive que cette dame qui m’avait juste hélée d’un :
– Vous êtes en retard, aujourd’hui, Madame.
Demain, c’est certain, je lui offrirai, en plus de mon sourire, cette phrase :
– Vous m’avez fait plaisir, hier, en constatant mon absence.
Ce sera ma manière à moi de lui faire comprendre que je me suis souvenue, grâce à elle, que nous étions tous, connectés, liés les uns aux autres, à grande échelle, en petit comité, en groupe ou sous-groupe, tel celui-ci, celui des marcheurs et nageurs de l’aube, sur cette grande plage, quelque part aux Antilles.
Quant à vous, quand vous lirez ce billet d’humeur, quel que soit l’endroit du monde d’où vous serez connectés à moi, je vous salue et vous remercie, pour ces quelques minutes ensembles.