Etre ou ne plus être
Hummmmm Etre ou ne plus être
J’écris ce mot le 10 Septembre. Journée Mondiale de lutte contre le suicide. Je viens de l’apprendre. A un moment où j’accompagne une amie très chère qui, elle, voudrait vivre ; Plus que tout ; Gagner sur la maladie. Mais son combat contre la grande faucheuse est inégal. Avide, celle-ci gagne de l’espace, et, cellule après cellule envahit son terrain de vie.
Le suicide est un sujet spécial. A part. Dans ce mot, s’entremêlent des sentiments de douleur, peur, stupéfaction, lâcheté, courage, et, toujours, culpabilité. Beaucoup de culpabilité pour ceux qui restent ; La famille, les amis.
A une époque, cet acte me révoltait ! Je m’explique. Je suis née en Afrique, au Bénin ; Et, même si j’ai eu, moi, la chance de naître dans un milieu privilégié, j’ai côtoyé, forcément des moins lotis que moi. Des pauvres, des très pauvres, des miséreux. Qui n’avaient, eux, qu’un but : Vivre, et même survivre ! Leur lutte pour, se faire, était quotidienne, harassante. Et pourtant, jamais, à aucun moments, l’idée d’y mettre fin ne les effleurait. Jamais. La misère était, en quelque sorte, leur norme, la seule vie qu’ils eussent connue.
Aussi, arrivée en France, je fus surprise par la désinvolture avec laquelle certains de mes camarades de classe en parlaient. En pleine crise d’adolescence, ils brandissaient à leurs parents cette menace à la moindre divergence de point de vue, au moindre refus d’obtempérer à leurs désirs. Mes oreilles, ahuries, les entendaient sortir des phrases telles que : « Mes parents me menacent de m’envoyer en pension pour le lycée ! S’ils le font, je me suicide !” Et moi, je me demandais : « C’est quoi leur problème, à ces enfants gâtés ? Ils ne réalisent pas la portée de tous les avantages familiaux économiques et sociaux dont ils sont pourvus » ? Comment peut-on avoir autant de chance et être aussi bête ? On pourrait dire que j’avais l’excuse de mon jeune âge à l’époque (15 ans), mais je dois avouer que longtemps, je conservai cette posture…jusqu’à ce qu’un jour, des années plus tard, l’idée, à mon tour, ne m’effleure. Mais cette brise qui, à peine me frôla, balaya en moi, un océan de préjugés. Une fois remise de ma surprise, je dus m’interroger : Mais enfin ! Que m’avait-il pris ? Comment avais-je même pu évoquer cette possibilité alors même que j’étais Maman de 2 enfants ? Je dus sonder ce qui, profondément en moi, avait été bouleversé au point de souhaiter faire dos aux 3 verbes clé de nos vies : Etre, faire, avoir.
- Plus que Ne plus faire, je ne voulais plus, prosaïquement, « faire Corps » avec la vie
- Plus important qu’avoir, je ne voulais plus Avoir mal
- Quand au mal être, il occupait tellement tout l’espace que je ne voulais juste plus être. Tout simplement.
Et puis, la vie a passé, et mes anciennes opinions, de temps en temps, refaisaient surface. Notamment face à des personnes malades, qui souffraient de leur état, et qui auraient tout donné pour vivre, simplement, sans maladie : Sans douleur, sans handicap, sans contrainte aucune. Lorsque j’entendais parler de telle personne, en bonne santé (apparente) qui s’était suicidée, je ne pouvais m’empêcher de penser : « Quel gâchis ! Il y en a tellement qui, dans des hôpitaux, des pays en guerre, ou simplement lésés par la vie aimeraient échanger leurs problèmes contre ceux de cet individu » !
Oui, certaines représentations, forgées par notre passé personnel ont la vie dure ! Je me morigénais ensuite, bien sûr, et devais reconnaître qu’il filtrait de mes pensées, certaines idées parasites.
Et puis la vie, parfois, se charge toute seule de vous remettre les idées en place. Bien sûr, j’ai grandi, lu, vu, vécu, appris. J’ai compris que plus qu’un corps, nous sommes d’abord et avant tout un mental. Que ce mental se moque des apparences et actionne les leviers de nos émotions avec ou sans notre consentement. Qu’il est impossible de calquer la vie de l’un sur celle d’un autre car, il suffit de changer un seul paramètre pour que le tout prenne une autre forme, totalement distincte.
Et surtout, aujourd’hui 10 Septembre, je suis en compagnie d’une de mes meilleures amies. Qui, depuis des années lutte contre cette sale maladie. Qui a testé une multitude de traitements. Qui a la plus belle et la plus légitime des raisons de vouloir vivre : Son fiston, même pas au collège. Et, lorsque, après des années de douleurs, permanentes, insupportables, mais qu’elle supporte depuis si longtemps, elle souffle : «Je n’en peux plus », que puis-je dire sinon qu’il s’agit de la décision la plus courageuse qu’il m’ait été donnée d’entendre?
Rien. Etre là. Soutenir, comprendre, aimer, et admettre que, oui, parfois, il s’agit juste de déposer les armes, parce que la douleur, physique ou mentale est telle, qu’elle occupe tout l’espace, intégralement, y compris l’espace de la vie. Et là, personne n’a le droit d’émettre le moindre jugement moral ! Voilà, ce que vivent ceux et celles qui arrivent à ce choix, insoutenable pour les autres…Mais qui revient à une délivrance pour eux.