Mablé AGBODAN : « Créer, c’est aussi être utile et disponible pour les autres… »
Changer les choses faisait partie des idéologies de Mablé AGBODAN dès sa tendre enfance. Cette togolaise passionnée de l’art et du design, diplômée en gestion des entreprises, a travaillé pendant quatre années au Musée d’Orsay. À Londres où elle a installé ses quartiers, Mablé a d’abord travaillé comme assistante personnelle de deux directrices de création. En visitant le salon Maison et Objet en 2006, elle fait la rencontre de Stanislas Bilon (ancien responsable du visual merchandising chez Rosenthal à la Galerie Lafayette). Ce dernier est son actuel collaborateur principal. Ils se découvrent tous les deux un amour pour l’architecture d’intérieur. Leur passion partagée pour l’art les conduit à la création de Mille Couleurs. Une maison d’architecture d’intérieur basée à Londres, depuis 2009, et à Lomé depuis 2015. Avec un positionnement dans le haut de gamme. A cheval entre Londres et Lomé, Mablé AGBODAN nous amène dans son univers créatif.
FP : Comment est née cette passion pour la création ?
Mablé AGBODAN : Mon premier contact professionnel avec l’artisanat s’est fait en Tunisie. C’était en 2006. Les voyages fréquents à Nabeul pour finaliser les productions ont allumé en moi le désir, à peine exprimé à l’époque, de bâtir une unité similaire au Togo, capable de créer des produits de luxe, du haut de gamme, d’une qualité irréprochable.
FP : Pourquoi le choix de travailler principalement avec des matières locales ou recyclées ?
Mablé AGBODAN : L’Afrique a des richesses patrimoniales et culturelles dont on ne parle pas assez. Qui plus est, nous n’exploitons pas assez tous les biens que nous avons dans notre sous-sol et sur nos terres. Nous nous devons de faire valoir notre culture et la mettre en valeur. J’essaie d’apporter ma contribution à l’éclat de notre continent en faisant ma toute petite part. Par exemple, du haut de mes quinzaines années d’expériences en architecture d’intérieur, je n’ai jamais eu à finir un projet sans utiliser le tissu. En rideaux, au mur, sur les meubles, et sachant que notre continent foisonne de tissus nobles, je me dois d’en faire des perles rares.
FP : Qu’est-ce qui vous motive à faire la promotion du tissage artisanal ?
Mablé AGBODAN : J’ai toujours eu un faible pour tout ce qui a été fait main. J’ai toujours aimé la matière, la texture, le beau…Et puis enfant, mes tenues étaient conçues à la main par maman qui est une autre passionnée du fait main. Elle me l’a inculqué. Je lui dois tout cette joie qui m’anime à chaque fois que je suis à la découverte d’un nouveau métier et à la rencontre d’un artisan ou un artiste. Maintenant le tissu est et a été au cœur de ma vie, ma carrière.
FP Qu’est-ce qui vous a poussé à lancer le club des métiers d’art et d’artisanat ?
Mablé AGBODAN : Le Club des Métiers d’Art et d’Artisanat du Togo est un incubateur en design, un espace de stage de perfectionnement des artisans qualifiés, un cadre d’échanges des créatifs. Le but c’est d’amener nos artisans à devenir des artisans d’art. Notre vision collective au Club des Métiers d’Art et d’Artisanat du Togo, c’est l’augmentation de la capacité des artisans à innover et à rendre le secteur plus professionnel
FP : Plus globalement comment analysez-vous l’artisanat en Afrique?
Mablé AGBODAN : En Afrique, j’y crois durement. Nous avons du chemin mais c’est à nous de le faire. Nos artisans ont du savoir-faire et du talent. Ils ont juste besoin d’encadrements et d’une prise de conscience. Mais aussi la confiance en eux. L’autre problème est qu’ils sont dans l’artisanat par défaut non pas par passion. Il faut qu’ils apprennent à aimer leur travail pour s’épanouir un peu plus.
FP : Que pourraient faire les gouvernements africains pour mieux promouvoir l’artisanat africain ?
Mablé AGBODAN : Ils pourraient commencer par renforcer des capacités des maitres artisans africains, aider les jeunes artisans à aimer leur choix de métiers par des séances de développement personnel, les sensibiliser sur le bien fondé du travail bien fait et les belles finitions. Et l’importance que cela revêt sur le marché international.
FP : Vous œuvrez dans la lutte pour la protection de l’environnement. Pourquoi avoir choisi ce combat? Et quelles actions menez-vous ?
Mablé AGBODAN : Ce combat vise à promouvoir une prise de conscience sur le besoin de limitation des quantités de déchets par leur réutilisation. Tout en familiarisant le public au concept. Il s’agit donc d’améliorer d’une part le niveau de réutilisation/recyclage et de l’autre, encourager les efforts d’éco-conception, faire émerger une conscience collective et individuelle sur les valeurs fondamentales de la protection environnementale.
FP : Quels conseils donneriez-vous aux artisans locaux un peu partout en Afrique ?
Mablé AGBODAN : Soyez des passionnées dans chaque chose que vous entreprenez. Aimez-les. Et comme disait Victor Cherbuliez dans « Le cœur sensible » en (1911) : « La passion aspire à posséder quelque chose, elle a toujours un but qu’elle poursuit sans relâche et jusqu’à perte d’haleine. La passion est remuante, agissante ; si elle le pouvait, s’il le fallait, la passion bouleverserait le monde pour arriver à ses fins. La lutte est son élément, elle ne connaît pas la fatigue, elle ne s’accorde aucun repos et n’en accorde point aux autres. »