Notre prénom doit-il l’être pour la vie ?
« Tu ne trouves pas bizarre que ce soient nos parents qui choisissent notre prénom ? Pourtant notre prénom est si important et si impactant dans notre vie. On ne le choisit même pas. » Ces mots sont de mon fils, 20 ans. Il les a prononcés la semaine dernière. Pourtant ils résonnent en moi depuis si longtemps, bien avant sa naissance.
Comme quasiment toutes les familles catholiques de mon pays, le Sénégal, je porte 3 prénoms du calendrier grégorien. La religion catholique est passée par là. Nous sommes bien loin de nos cultures et des prénoms qui auraient été comme une douce mélodie, dans les oreilles de nos ancêtres. Seulement voilà, il nous semble souvent que nous n’avons pas le choix. Pourtant si.
Il y a une dizaine d’années, alors que tout le monde m’appelait par mon deuxième prénom, je choisissais de laisser mon prénom d’usage pour le premier prénom à l’état civile. Loin d’être de la coquetterie, il s’agissait simplement de rendre hommage à ma grand-mère, qui portait ce prénom et venait de nous quitter. Bon nombre de mes amis ont rapidement « switcher » de Renée à Claire. Pour d’autres, c’était beaucoup plus difficile. Et je les comprends. Cela ne m’a jamais posé de problème. J’aime ces deux prénoms, qui bien que n’ayant aucun lien avec mes origines africaines, me rappellent les personnes que mes parents voulaient honorer en me donnant leur prénom. Aujourd’hui, plus je vieillis et plus je me rends compte que le prénom qui a du sens pour moi est mon prénom d’usage. Il vient du verbe renaître et a été choisi par ma marraine, Fatou, en apostasiant. Comme elle renaissait dans une autre religion en épousant mon oncle catho, elle a voulu marquer le coup et devenir Renée.
Dans le lot d’amis qui ont immédiatement adopté le prénom Claire il y avait un confrère journaliste. Je me rappelle ses mots comme si c’était hier : « On doit appeler les gens comme ils ont envie qu’on les appelle ! » Ces propos sont d’Amobé Mévégué, grand homme de media d’origine camerounaise. Ils ont encore plus de poids aujourd’hui qu’ils n’en avaient il y a dix ans. Comme un écho, j’entends ce que me dit mon fils et je me souviens de ce que me disait Amobé. Il m’a spontanément soutenu dans ma démarche, sans jamais me juger.
Lui-même est allé beaucoup plus loin en choisissant de renaître sous un nouveau prénom. Un prénom qui a du sens pour lui et pour ses ancêtres. Un prénom africain. J’ai toujours admiré cette démarche. J’ai voulu qu’il me raconte son histoire de prénom. Une histoire singulière s’il en est. Je vous la livre ici, sans filtre.
« Le prénom, les patronymes sont importants dans le processus de construction identitaire de chaque individu. Plus encore pour les descendants de peuples colonisés. Depuis l’enfance j’ai conscience qu’ils sont les miroirs de nos âmes, gardiens de nos cultures, civilisations, traditions, patrimoines et surtout l’instrument de connexion filiale puissant avec ses ancêtres. Un marqueur indélébile, une trace sensible de sa mémoire et de son passé. En qualité d’homme de média, la responsabilité m’incombe plus encore que quiconque de magnifier nos langues, apparats vestimentaires. C’est la raison pour laquelle j’ai initié une démarche de réappropriation identitaire patronymique, en concertation avec mes parents. Ainsi est née la désignation du prénom AMOBÉ. Il résulte d’une anagramme composée des initiales des noms de notre clan éthnique en pays Fang-Beti du Kamerun. Les chinois portent des prénoms chinois, les Arabes des prénoms Arabes, les Européens des prénoms Européens, les Juifs des prénoms Juifs etc.
Ma démarche n’est pas sectaire bien au contraire. Il faut magnifier la diversité du monde, il est bon que les Inuits ou Indiens d’Amazonie portent les patronymes de leurs aïeux. Il est intéressant de noter que lors de ma “mutation patronymique”, j’ai subi critiques et admonestations de toutes parts, invoquant un prétendu repli identitaire. Alors qu’il me semble que les africains sont le seul peuple sur cette planète à se prénommer David comme un Juif, Mohamed comme un Arabe, Jean Christophe comme un français, sans aucune réciprocité envisagée par nos semblables des autres ères civilisationnelles.
Je ne préconise aucun prosélytisme, l’essentiel étant d’avoir le choix, mais suis fier d’avoir transmis les prénoms de Samori et Djibel à mon fils, à ma fille, dans l’espoir qu’ils perpétuent cette inflexion pour les générations futures. Car en réalité, l’universalité est la somme de toutes nos différences. »
Et vous, quelle est votre histoire de prénom ? Dîtes-le nous en commentaire.
Amobé Mévégué, Ancêtres, Culture, Prénom