Aya, une star d’aujourd’hui 1/2
Elle est la chanteuse française la plus écoutée au monde. Aya Nakamura change les règles du jeu. Même si cela ne plaît pas à tout le monde.
Malgré un début de carrière assez récent, elle est devenue l’une des chanteuses les plus populaires en France. D’une taille élancée, à la peau ébène, la jeune femme et sa voix mélodieuse font rêver à l’étranger.
S’affichant sur les billboards du Time Square, la chanteuse Aya Nakamura, pour son nouvel album “Aya” qui a été « streamé » plus de 12 millions de fois sur Spotify depuis sa sortie, devenant ainsi le troisième album le plus écouté de l’histoire. Elle fait partie des nouvelles stars d’internet. L’album comporte, en outre, des collaborations avec Stormzy, Ms Banks ou encore Oboy, des artistes incontournables de la scène urbaine.
Aya fait danser une jeunesse métissée aux quatre coins de la planète. Pourtant, aux MTV Europe Music Awards 2020, en novembre 2020, à la surprise générale, l’interprète de « Djadja » ne remporte pas le prix de l’artiste français de l’année, se faisant coiffer par le chanteur pop Matt Pokora.
Elle est, pour la première fois, nommée artiste francophone de l’année à la 22e édition des NRJ Awards 2021, à Cannes. Cependant, les médias français ont critiqué l’artiste pour avoir privilégié « la cérémonie espagnole ».
L’interprète de « Jolie Nana » fascine aujourd’hui les médias français, celle qui il y a « juste deux ans » était inconnue. À chaque fois, dans les médias français, « l’enfant d’Aulnay-sous-Bois » est identifiée par ses origines maliennes et son nom pas « de chez nous » est écorché. Elle aurait un comportement « ingérable ».
Née au Mali, c’est enfant qu’Aya s’installe à Aulnay-sous-Bois avec sa famille, une banlieue nord-parisienne. La chanteuse baigne dans une culture plurielle, au son de chants griotiques et des appels à la prière du muezzin.
Et pourtant… La chanteuse ne plaît pas à l’institution de la musique. Est-ce son comportement ou bien son identité plurielle ? Pourquoi n’a-t-elle pas été choisie aux académies en France ? Pourquoi une femme noire musulmane ne serait-t-elle pas l’ambassadrice idéale de la France ? Une France qui aurait enfin fait son devoir de mémoire, reconnu ses torts, célébré tous ses enfants.
Le français, une langue qui se transforme
La langue française change au fil des générations, mais l’académie en refuse l’entrée à la langue chatoyante, moderne, métisse, contemporaine de Aya ?
« Le jour où on se croise, faut pas tchouffer », tchouffer est un terme passe-partout qui veut dire « dire de la merde » ou « faire de la merde », extrait de “Djadja”.
« Moi j’ai le truc, je sens les pipeaux, ouais (les pipeaux) », un synonyme pour les mensonges, extrait de “Joli Nana”.
« Toi t’es bon qu’à faire la mala » qui veut dire « se vanter de ses biens » ou « faire la fête », extrait de “Pookie”.
Les paroles des chansons de la nouvelle diva seraient « incompréhensibles » car elles ne seraient « pas du français », s’exclame-t-on dans la presse musicale au point qu’ un chanteur belge de télé crochet reprend ironiquement “Djadja” en « français soutenu ». Pourtant, la chanteuse Mylène Farmer était connue pour ses paroles “complexes”. Que dire de Michel Sardou ou encore Gainsbourg pour leurs audaces, leurs transgressions et même parfois, leurs chansons obscènes comme “Je t’aime moi non plus”, qui fit scandale en son temps, et plus tard, “Love on the beat”, une scène de sexe mise en musique. Leurs chansons et leurs auteurs sont pourtant entrées au panthéon de la chanson française.
Les chiens aboient, la caravane passe
Avec ses disques de diamant, or et platine, et des millions de ventes de singles et albums, Aya Nakamura est devenue incontournable, principalement en Espagne, au Chili, au Mexique et en France, où elle est la plus écoutée. Même les filles adoptives de Madonna, ainsi que Rihanna s’affichent fièrement sur les réseaux sociaux dansant sur la musique de « la diva », suivie par des millions sur ses réseaux sociaux.
L’interprète de « Pookie » est pourtant la cible de moqueries. Kev Adams, Nagui, Patrick Sébastien, Niska, Omar Sy ou encore Laam font partie d’une longue liste de célébrités qui dénigrent la chanteuse dans les médias officiels. La liste s’allonge à mesure que les chances de succès d’Aya augmentent.
Que lui reproche-t-on ? Le comportement, le vocabulaire utilisé dans ses paroles, le tout combiné à son identité. Elle serait victime de la jalousie de la part des femmes, ou de façon plus complexe, de la “misogynoir”, où on constate une désolidarisation du combat « des femmes de l’immigration » par les hommes issus de cette même immigration.
Un artiste comme Omar Sy pourrait utiliser sa notoriété pour dénoncer la racialisation des rôles subalternes (« les rôles de Noires ») dans le cinéma français, ainsi que l’invisibilisation des femmes noires dans la représentation, comme l’a dénoncé le collectif Noire n’est pas mon métier, dirigé par la comédienne Aïssa Maïga. Au lieu de cela, il se moque du niveau de français, son rang social et de l’identité plurielle d’Aya.
Souvent plus occupées par d’autres combats féministes hérités des années soixante, comme l’égalité homme-femme, les féministes traditionnelles, que le voile musulman importune souvent et qui considèrent ouvertement que la religion musulmane est une oppression de la femme, aurait-elle du mal à s’engager aux côtés d’une femme comme Aya, qui exhibe fièrement ses formes, tout en se revendiquant de confession musulmane ?
Féminisme ou féminismes
Serait-elle donc « trop noire pour être française », une formule qu’évoque la cinéaste Isabelle Boni-Claverie dans son essai, où elle analyse sans concession ce que représente la réalité d’être Noir.e en France, à travers un portrait familial singulier dressé sur plusieurs époques, générations et pays. Une réalité que partage la chanteuse.
En France, « des femmes de l’immigration » luttent contre le système. Comme la militante Assa Traoré, qui lutte contre les violences policières (dont a été victime son frère) ou l’essayiste, écrivaine et journaliste Rokhaya Diallo qui lutte pour l’égalité raciale, sexuelle et religieuse.
Dans le paysage médiatique français, les femmes racisées sont invisibles. En France, on a plutôt l’habitude de voir ces femmes travailler dans les magasins, supermarchés ou maisons de retraite que d’incarner des premiers rôles à la télévision ou au cinéma. Elles sont victimes du déni qui prend la forme sous deux types de processus d’invisibilisation. Le processus de spectacularisation consiste à la mise de façon aveuglante le projecteur sur certaines dimensions de l’activité de travail où certaines caractéristiques du travailleur plongent ainsi dans l’ombre toute une partie de sa réalité comme le cas de Aya. L’euphémisation, quant à elle, atténue la qualité de travail des nounous, des caissières ou femmes de ménage Noires (« ce n’est pas vraiment du travail », « pas besoin de compétence pour exercer cette activité »…) . En apostrophant Aya aux yeux de tous, comme si les personnes racisées n’existaient pas, le dominant (le système ou the Establishment) privatise l’espace socio-culturel pour ces personnes.
Reconnaître les droits de toutes les femmes racisées, c’est le devoir de renoncer à son propre privilège pour une solidarité féminine universelle. Qu’il s’agisse d’Olympe de Gouges, Simone de Beauvoir, Simone Veil ou encore Rebecca Asselem, les féministes ont fait beaucoup pour leur combat. Mais ce combat n’a pas pris en compte les conditions de vie de ces femmes racisées. Apparu dans les années 2010, Le terme racisé-e-s est utilisé « comme adjectif ou substantif par divers partis politiques pour désigner les personnes qu’ils estiment être les victimes du racisme systémique ».
Aya, et tant d’autres femmes comme elle, s’affirment dans un espace hostile. Chanteuse à succès, qui mène de front sa carrière et une vie de jeune maman insiste sur le fait qu’elle « chante et ne fait pas de discours ». Mais se rend-elle compte de cette image de femme puissante, indépendante qu’elle renvoie ?
La suite de cet article en partenariat avec le site https://khadidja-ndiaye.com sera diffusée demain
Nathalie S
MERCI. Article intéressant.
Même si Aya n’est pas ce que j’écoute… Ce n’est pas utile de s’en moquer.