La phobie du bonheur
Hummmmm, la phobie du bonheur…
Elle ne connaissait qu’un mode d’expression : la vindicte.
Ne nageait que dans des eaux tumultueuses polluées par son humeur, mauvaise.
Craignait plus que la peste les rives teintées de joie ;
Je la connaissais sans l’avoir jamais rencontrée. Je ne savais d’elle que ce que me racontaient ses enfants : Unanime désillusion.
Mon Dieu, que ce fut troublant, le jour où je l’eus en face de moi, de la voir faire la démonstration, point par point, de la réalité du moindre défaut vomi par sa progéniture !
Totalement aigrie, elle ne voyait la vie qu’à travers un seul prisme : Celui de la négativité, du pessimisme le plus pur, de la désolation.
La vie pour elle, ne semblait qu’être un long fleuve amer, dont elle savourait pourtant jusqu’à la lie, la moindre goutte. Sentir une lueur d’espoir dans le regard de l’autre la terrorisait, au point d’avoir le réflexe immédiat d’éteindre ce feu qui pourrait venir lui lécher le cœur.
Bien qu’alertée par les innombrables récits émaillés de preuves d’étroitesse d’esprit racontés par ses enfants, ma personne entière ne fut que sidération, le jour où enfin, je la rencontrai !
M’enfin, comment était-ce possible ? Comment se mouvoir ainsi dans une nuit infinie, en faisant barrage, obstinément, à la clarté du jour ? De prime abord, je ne lui trouvai nulle excuse. Il me sembla qu’il s’agissait, chez elle, d’un choix délibéré de pourrir la vie des siens et de se présenter en Mater dolorosa contre laquelle la terre entière s’était liguée ! Elle maitrisait tout le lexique des plaintes et des lamentations. Nulle personne, jamais, n’avait voulu son bien ! Elle, à contrario, se persuadait que ses constantes remarques désobligeantes, étaient la preuve d’un intérêt certain porté aux autres !
D’apparence frêle, elle était pourtant toute entière un roc, une pierre un bloc de fiel.
Elle était probablement la personne la plus entière qu’il m’ait été donné de rencontrer. Entièrement tournée vers un but unique : Répertorier tout ce qui n’allait pas chez les autres.
Au final, elle ne parvint à susciter chez ses enfants, que des sentiments qui suivirent exactement la courbe des émotions éprouvées lorsqu’on doit traverser un deuil. D’abord, la colère, puis, le marchandage, suivies de la dépression et de la douleur, de la reconstruction, et de l’acceptation.
Ils étaient, les uns et les autres à des stades différents. Celle dont j’étais le plus proche en est, actuellement, au stade de la reconstruction, et le stade de l’acceptation, que je sens proche, correspondra, ici à une indifférence marquée (et sans doute définitive) envers sa mère.
Une indifférence qui, bientôt, libérera mon amie de ce fardeau maternel, car il est bien connu que le contraire de l’amour n’est pas la haine, mais l’indifférence.
Cette mère avait tué dans l’œuf la moindre trace de complicité avec sa progéniture, parce qu’elle avait avorté du moindre sentiment d’amour réciproque.
Elle rendit pourtant un immense service à ses enfants qui ne grandirent qu’en opposition à ce qu’était leur mère folcoche ainsi qu’à ses valeurs délétères.
En opposition à leur mère qui alignait méthodiquement les rancœurs tels une succession de points de tricot, ils s’évertuaient à tisser avec leur progéniture un fil de complicité qu’ils prenaient soin de toujours garder vibrant.
Récemment, alors que mon amie me faisait part d’une message écrit ravageur qui venait de lui être envoyée par sa génitrice, je cherchai à cette femme des excuses à son attitude et à son effet dévastateur sur ses enfants.
Intellectuellement, ce fut compliqué, car j’avais en face de moi, mon amie qui subissait émotionnellement et dans sa chair les ravages de l’amer vindicte de celle qui l’avait portée au monde.
Et puis, ce matin, en promenade dans le jardin d’une femme et d’une mère exceptionnelle, celle-ci me présenta une fleur dont elle me souffla le nom : Cette fleur, c’était la couronne d’épine dont le nom scientifique est Euphorbia. Il s’agit d’un tronc rugueux, repoussant, couvert d’épines prêtes à vous blesser à la moindre approche et dont la terminaison, pourtant, est une couronne de pétales délicates, veloutées, tendres, qui appellent la caresse.
Ah, Les mystères de la pensée ! A l’énoncé du nom et à la vue de cette fleur, mon cerveau y a associé cette femme. Je me suis dit que certainement, quelque part en elle, existait une part de tendresse, une douceur qui ne demandait qu’à s’exprimer. Et j’ai espéré, très très fort, qu’avant qu’il ne soit définitivement trop tard, l’un de ses enfants y parviennent , et par une touche d’amour, contamine le reste de sa personne. Tout reste possible. Toujours. C’est ça, l’espoir….