Patricia Mowbray: Retour sur soi et Rendez-vous avec les autres…
En l'écoutant, chemin faisant, répondre aux questions, l'évidence se dessine. Il y a, en elle, comme révélé presqu'imperceptiblement à la lumière, un éclair de candeur joyeuse, l'étincelle pétillante au mitan de la pupille et l'ébauche d'un sourire incandescent.
F.P. : Vous êtes également, avec votre époux, co-fondatrice de l’association Racines d'Enfance. Pouvez-vous nous en parler ?
Patricia Mowbray : A l’origine de Racines d’Enfance, il y a la problématique de l’adoption internationale qui, comme je l’ai dit plus haut, fait partie de moi, de mon histoire personnelle. Au fil des années, j’ai vu le débat sur l’adoption internationale faire l’objet d’amalgames et de préjugés de la part de la classe politique, et même d’une partie des médias. Cela m’a interpellée et j’ai donc décidé de m’engager en créant cette association. Au départ, nous étions une dizaine d’adoptés, de toutes origines. L’idée était de reconnaître cette partie de notre identité et de partager notre expérience. On voulait sortir de la vision un peu négative et misérabiliste de l’adoption.
Et cette flamme, cette force teinte son parcours de vie, comme elle illumine cette interview.
Rencontre avec une belle personne qui a fait de «l’acte d’accueil», sa priorité.
FP : Vous êtes auteur de « A comme adoption », paru en 2009, aux Editions Pascal. Surtout, vous avez, vous-même, été adoptée, très jeune. Que peut-on retenir de tout cela ?
Patricia Mowbray : Je dis souvent, d’une façon un peu amusée, que je suis une vieille adoptée. En effet, je suis née dans les années 50, et j’ai été adoptée, 2 ans et demi après ma naissance. Enfant d’un «couple mixte» (Danemark et Nigéria), j’aime à revendiquer ma quadruple dimension, puisque mes parents adoptifs sont anglais et français.
Cette problématique de mélange, à l’époque, je ne l’ai pas trop mal vécue. On n’était pas très nombreux dans ce cas-là et on me l’a toujours présentée comme quelque chose de positif, de valorisant. Le seul problème, c’est que je ne disposais d’aucun repère, puisque dans le système français, on en dit le minimum sur l’origine de l’enfant. Je me suis donc nourrie d’un imaginaire tourné vers les Etats-Unis, puisque là, j’ai découvert une littérature qui mentionnait des gens de ma couleur, mais qui vivaient dans un espace occidental. Très tôt, les bouquins de Faulkner, Wright et bien d’autres m’ont accompagné. J’ai intégré les racines de ma famille adoptive, le Périgord est également une partie de ma terre et plus tard, je suis allée chercher mon identité africaine. C’est une démarche qui se construit dans le temps, un équilibre, simplement.
Petit à petit, l’association a grandi, on a mis en place une espèce de consultation où parents d’adoptés, adoptés et assistants sociaux en difficulté venaient nous voir et constater, en voyant en face d’eux des adoptés adultes heureux, ce qu’il était possible de devenir. On a aussi travaillé, à l’époque, avec le cabinet de Ségolène Royal pour l’abrogation de «l’accouchement sous X» et cela a abouti à la création du CNAOP, (Conseil national d’accès aux origines personnelles). Cette structure permet dorénavant à des enfants abandonnés sur le territoire français ou ailleurs, d’aller au plus près de leurs origines biologiques. Plusieurs milliers d’enfants ont ainsi pu accéder à leur dossier. Certains ont même pu retrouver leurs familles d’origine. A titre personnel, j’ai été plusieurs fois invitée aux USA, dans le cadre de l’«American Adoption Congress ». C’est à la suite de ça, que j’ai écrit «A comme adoption» qui est un abécédaire et non mon histoire personnelle. Un livre qui présente l’adoption sous toutes ses formes, historique, sociologique, affective, dans le temps et l’espace. L’adoption existe effectivement depuis l’Antiquité! Enfin, c’était aussi important pour moi de me resituer dans la grande Histoire !
F.P. : Racines d'Enfance, c'est aussi, comme vous dites, une histoire "d'ancrage et d'héritage"....
P.M. : Ancrage et héritage, en effet, parce que nous avons été amenés progressivement à travailler avec et pour de très jeunes enfants. Pour bien comprendre notre démarche, il faut remonter aux origines de notre engagement, mon mari et moi. Nous nous sommes rencontrés dans un cadre associatif antiraciste. A ce titre, nous avons été amenés à voyager en Afrique, notamment au Sénégal. Après deux ou trois séjours dans ce pays, nous avons constaté que dans certains villages très excentrés en brousse, il y avait un gros problème avec les tout petits. La tradition veut qu’ils soient confiés aux aînés. Mais dans les faits, qu’est-ce qu’un vieillard peut faire avec un enfant de 2 ans ou 4 ans? Les enfants de 7/8 ans étant à l’école, on se retrouve avec de jeunes enfants en déshérence. Spontanément, nous avons pensé qu’il fallait construire des écoles maternelles. Après un temps de réflexion et de concertation avec les populations locales, on a décidé de construire, avec les maçons du village, une «école maternelle», constituée de 2 salles de classe, 2 cases, 1 bloc sanitaire, 1 préau et 1 petit coin cuisine. Cela a été un peu compliqué mais finalement, la structure a été inaugurée joyeusement en 2004. Comme principes de fonctionnement, nous en avons imposé 4: la parité filles/garçons, le Français, parce que c’est la langue de l’enseignement au Sénégal, une initiation à l’hygiène et la neutralité, c’est-à-dire pas d’enseignement religieux dans les structures.
Pour plus de détails, les personnes intéressées peuvent visiter notre site Internet : www.racinesdenfance.org.
F.P. : Quels sont vos projets pour les années à venir ?
P.M. : Prioritairement, nous allons continuer à construire des centres préscolaires pour les tout petits afin d’augmenter l’offre qui tourne autour de 12% au Sénégal. Avec 14 ans d’existence, on a plus de recul, on a prouvé la pérennité des structures que nous avons réalisées, on peut par conséquent prétendre à des levées de fond plus importantes et on s’y attèle. C’est l’objectif pour cette année 2017. Dans le même temps, nous voulons étoffer un peu plus nos structures d’accueil. Depuis 2011, par exemple, on propose des visites médicales annuelles réalisées par des médecins locaux. Nous pensons aussi à doter les tout petits de kits d’initiation à l’écologie, en prenant en compte le contexte et l’âge des enfants. Il y a également l’approvisionnement en eau et en électricité qui fait partie de nos projets. Il y a aussi la restauration des maternités, le désir de proposer aux petits une offre sportive, etc…
A terme, nous envisageons d’étendre notre concept à d’autres pays africains. En attendant, nous nous proposons, d’ici 2 ou 3 ans, d’embaucher un collaborateur qui s’occupera des tâches administratives.
F.P.: Vous avez été, en 2014, lauréate du 11e Prix Trofémina, dans la catégorie « Humanitaire ». Quelle importance accordez-vous à cette distinction ?
P.M. : Pour moi, au-delà de la légitime fierté que l’on peut éprouver en recevant une telle distinction, c’est surtout la reconnaissance du travail de tous les membres de l’association. Ce formidable coup de projecteur constitue aussi une ouverture, car cela nous confère une réelle crédibilité et cela permet des contacts, de faire connaître l’association et de communiquer.
F.P.: Vos combats occupent une grande place dans votre vie aujourd'hui. Qu'est-ce qui vous passionne encore ? Globalement, comment allez-vous aujourd'hui ?
P.M. : Fatiguée mais je vais bien (rires)! Mon autre activité, c’est l’écriture qui fait partie de ma vie. J’ai écrit ce bouquin sur l’adoption, réédité en 2011. J’en ai co-écrit un autre, vers 1982-1983, qui s’appelle Paris Pratique, un des premiers guides ludiques de Paris. L’écriture m’a toujours accompagnée et là, je termine un livre sur la Chine et l’Afrique… L’écriture me donne «le loisir» de voyager. Pour moi, ça aussi c’est important; j’aime beaucoup être ici (ndlr en France) mais j’aime beaucoup partir, aller ailleurs et comme disent très souvent les femmes d’origine «afro-descendantes»: «Quand je suis ailleurs, je suis française»! Quand je voyage, c’est aussi un autre apport à mon altérité qui s’établit.
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